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15/03/2016

Chronique - "Prescription Thugs" (Chris Bell, 2016)

prescription thugs

Les américains sont les maîtres du documentaire « choc », souvenez-vous des "Bowling for Columbine" (Michael Moore, 2002), "Supersize me" (Morgan Spurlock, 2004), ou autres "Stratégie du choc" (adaptation du livre de Naomi Klein) et "Gasland" (Josh Fox, 2010), dans un autre registre. Ces films, très populaires, souvent réussis, nous font penser qu'il y a une génération aux USA qui sature complètement de cet American Way of Life dont on a gavé leurs parents. Nous voyons cette rébellion au niveau de l'écologie, de la finance, et très concrètement avec le succès inattendu de Donald Trump dans la course à l’élection présidentielle.

Prescription Thugs fait donc partie de ces films documentaires qui dénoncent et qui tentent d'éveiller les consciences sur un problème de société typique de la modernité, ici la consommation abusive de médicaments. Il s'agit bien de parler de médicaments prescrits et légaux, dont la consommation est encouragée par la publicité, les autorités officielles et les médecins. Le titre est un jeu de mot difficilement traduisible entre Thugs (le voyou) et Drugs (drogues/médicaments). Je vous préviens, même s'il s'agit d'un documentaire, il contient quelques surprises dans son déroulement et par conséquent cette chronique contient ce que l'on peut appeler des « spoilers ».

bigger stronger faster.jpgChris Bell n'est pas un inconnu et nous avait déjà surpris avec un documentaire sur la consommation de stéroïdes anabolisants, « Bigger, stronger, faster », en 2008. Il avait pris en exemple ses frères, l'un pratiquant la force athlétique (powerlifting) et l'autre catcheur à la célèbre WWF (devenue WWE), cantonné au rôle ingrat de faire-valoir, juste bon à se faire assommer par les grandes stars qui s'affichent sur les murs des chambres des gamins occidentaux. Quelques semaines après la sortie du film, son frère Mike, le catcheur, décède à l'age de 37 ans, rallongeant la longue liste des décès prématurés chez les catcheurs de la WWF/WWE.

Le réalisateur nous apprend donc qu'il existe une Amérique toxicomane qui ne ressemble pas du tout à l'image que l'on peut s'en faire habituellement avec ses délinquants marginaux et violents qui dealeraient dans un coin d'une rue sombre. Il utilise à nouveau l'exemple de son frère décédé, qui en plus des anabolisants, faisait une large consommation d'anti-douleurs et d'anti-dépresseurs de toutes sortes. La famille Bell nous est alors présentée comme un archétype de la famille américaine moyenne.

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Mike Bell dans le rôle du paillasson humain.

C'est un documentaire intimiste, où le réalisateur se met en scène au milieu de sa propre famille, utilise des images d'archives, révèle face à la caméra ses interrogations, ses regrets et ses propres addictions.

Chris Bell part à la rencontre d'anciens catcheurs, de sportifs de haut niveau, de professionnels du monde pharmaceutique, de politiciens ou d'une mère de famille des plus banale. Son enquête nous montre, courageusement et avec lucidité, tous les rouages de ce système. C'est ce qui fait la qualité de ce reportage. On y sent une vraie recherche de vérité, sans retenue et sans a priori idéologique. C'est ce qui fait la différence avec d'autres films comme « Les nouveaux chiens de garde » (2012), pour prendre un exemple français et sur un autre thème, où l'auteur après une brillante démonstration exposant les relations malsaines entre le monde des médias et celui de la politique, nous sert une conclusion irréelle comme mise en garde d'un retour au fascisme. Ici, c'est le contraire, on sent bien que l'auteur veut aller au bout de son enquête. Il accuse tour à tour les laboratoires, les lobbyistes, les politiques, les publicitaires, et au final cet esprit du « tout, tout de suite et sans effort », jusqu'à remettre en question le mode de vie américain dans ce qui a fait sa gloire et son rayonnement.

Plus qu'une simple démonstration, cette enquête est aussi un moyen pour Chris Bell d'aller chasser au fond de lui ses addictions les plus honteuses. On apprend au fur et à mesure du reportage, que lui-même, après une opération de la hanche, est tombé dépendant à des médicaments légaux. C'est pour cette raison qu'il connaît si bien les effets de cette consommation abusive et addictive, mais aussi les combines pour se procurer, légalement ou pas, ces médicaments. La révélation qu'il nous fait à la fin du film, c'est que cette dépendance, dont il prétendait être guéri, était en réalité tout à fait d'actualité. En effet, il continuait à consommer ces médicaments, véritables drogues légales, tout au long du tournage, alors qu'il militait contre ce système en prétendant depuis longtemps s'être sorti de ce carcan. Ce dernier rebondissement nous fait nous remettre en question. En effet, qui ne s'est jamais menti à soi-même ? L'hypocrisie qui gangrène la société américaine cache, selon moi, un vrai déclin, à la foi matériel et moral. Certains américains commencent à ouvrir les yeux et à réaliser que leur rêve est terminé depuis longtemps. Saluons ce documentaire sans concession et espérons qu'il puisse éveiller les consciences, pas seulement sur ce problème précis des médicaments, car le reportage va beaucoup plus loin. Espérons qu'il puisse véritablement toucher les gens et les faire se regarder en face, et ne pas jouer le rôle de simple agitateur nécessaire au système, comme l'ont été (et ce n'est qu'un avis personnel), les films de Michael Moore.

00:06 Publié dans Chroniques, Santé | Lien permanent |  Facebook |